Baises comme un Kennedy.



Lundi soir jouaient à Paris deux groupes bien différents: d'un côté les koalas de Tame Impala et de l'autre les New Jerseyans de My Chemical Romance. Pas franchement un dilemme pour le commun des amateurs de rock, les deux groupes boxant dans des catégories relativement opposées et n'ayant vraisemblablement pas beaucoup d'admirateurs en commun. A part peut être moi.

Il était donc prévu que j'aille voir Tame Impala. J'avais tristement raté leur passage estival par la capitale à cause d'un stage et avais donc plutôt hâte de les tester en live. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à l'Annonce: My Chemical Romance allait faire la Cigale le même soir. Petit déchirement et mini-crise identitaire: que faire? Suivre mes amis et une certaine bonne pensée musicale incarnée par les Australiens ou céder aux pulsions plus primaires qui m'attiraient irrésistiblement vers les Américains? Un inbox plus loin d'une amie un peu nostalgique de ses 14 ans et l'affaire était pliée: on irait voir Gerard Way et ses acolytes. Evidemment je me suis confrontée à l'incompréhension d'une partie de mes connaissances, certains ont du songer à me renier et même mon petit frère était légèrement navré pour moi. Il faut dire que j'ai une relation un peu particulière à My Chemical Romance qui m'empêchait de me rendre à ce concert avec comme justification "Je veux voir les idoles de ma jeunesse": contrairement à beaucoup, je n'ai jamais eu de période "adolescence en crise, musique sombre et eye-liner" au collège ou au lycée. A l'époque où j'aurais pu tomber sous l'emprise de la musique de ces garçons, c'est à dire en 2006 avec The Black Parade, je m'étais d'ores et déjà enfermée dans un mode de raisonnement "indie sinon rien", et me moquais ouvertement de ce groupe à costumes et de ses fans babylissés. My Chemical Romance représentait pour moi une certaine idée du Mal et des dangers du mainstream, et ce bien que ma maîtrise de leur discographie s'arrête à la grandiloquence de Welcome To The Black Parade et très rapidement à Helena. J'étais plus à l'aise avec mes groupes dont aucun camarade de classe n'avait jamais entendu parler et crachais volontiers sur tout ce qui portait l'étiquette "emo" (more about that un de ces jours, y'a des vérités à rétablir sur la signification de ce terme que 90% des gens pensant s'y connaître en musique rock utilisent à tort et à travers pour qualifier des choses atroces - je ne vous juge pas, je suis passée par là, mais MCR ça n'est pas emo. Vraiment pas.)

Puis j'ai pris quelques années, et un beau jour, sous le coup du désoeuvrement et peut-être d'un vague ras-le-bol de la bien-pensance hipster, j'ai tapé My Chemical Romance sur Youtube et contre toute attente, ce fut presque l'épiphanie. Il y avait là des chansons qui m'allaient droit au coeur. Moi qui m'attendais à une musique lisse et surproduite, je suis un peu tombée de haut: ces mecs étaient tout autant dans le vrai (si ce n'est plus) que n'importe quelle petite formation "authentique" dont les blogs raffolent. Il m'a fallu admettre que ce groupe avait bien plus de qualités que je ne l'imaginais, et force était de reconnaître qu'un album comme I Brought You My Bullets, You Brought Me Your Love tenait plus du bon DIY des garages américains que du vulgaire pop-punk FM MTVesque. C'était tout simplement bon, et en apprenant à connaître le groupe, même le décorum qui m'avait dès le début fait grincer des dents ne me semblait plus si absurde. Deux semaines plus tard, Three Cheers For Sweet Revenge ne voulait plus quitter mon iPod, et j'avais rejoins le côté obscur de la force.

Finalement, me rendre à la Cigale pour les voir était une évidence, et peu importe la qualité des productions de Tame Impala, aucune de leurs divagations psychés ne pourrait avoir le pouvoir brut d'un Famous Last Words. Je me suis donc aventurée en terrain inconnu et heurtée à une ferveur trop souvent absente dans les concerts que j'ai l'habitude de fréquenter. L'idée n'est pas d'adopter une vision manichéenne indie VS mainstream, de faire l'apologie de l'un pour mieux démontrer les failles de l'autre. Je serais de toute façon bien incapable de renoncer à mes petits groupes qui n'ont qu'une poignée de milliers d'auditeurs sur Lastfm, je reste fondamentalement attachée à la musique indie, à une partie de son état d'esprit ainsi qu'au mode de vie qui va avec. Mais à l'occasion, il est bien de voir ce dont le camp adverse est capable, et lundi soir, il y avait juste dans la salle un amour effarant. Nous sommes arrivés là bas alors que la première partie venait tout juste d'entamer son set, et j'ai été étonné de me retrouver face à une salle d'ores et déjà blindée, de voir des applaudissements bien plus que polis saluer chaque titre de ce groupe français pourtant médiocre et que personne n'avait informé que nous n'étions plus en 2005. Dans l'univers indie, se pointer à la première partie c'est déjà souvent un effort et lâcher sa bière pour acclamer le groupe inconnu qui ouvre n'est pas tout le temps envisageable, donc voir des gens hurler sur ce groupe reprenant du Sum 41, c'était tout à fait inédit et un brin déstabilisant. Sur le coup je me suis un peu dit "look at your life, look at your choices" (cookies pour ceux qui captent la référence), et "pourquoi es-tu là". Je sentais bien que je n'étais plus dans ma zone de confort. Quelques dizaines de minutes plus tard, My Chemical Romance a fait son entrée sous des cris capables de te filer des acouphènes pour toute une vie, et a lancé son set avec Na Na Na, dernier single en date. Le sol de la Cigale rebondissait comme jamais, et en une minute je n'étais plus qu'euphorie et sourires béats.

Festival géant du sing-along pendant une heure et demi, et ce même sur la plupart des titres d'un nouvel album pourtant pas encore leaké. Même le balcon était debout tout le long. C'était très professionnel, et ça se sentait, mais ça n'était pas pour autant frustrant. Gerard Way, régulièrement à la limite de la pornographie, parvient à mener ses troupes à la baguette et la sensation de soumission totale et de communion qui en découle est complètement jouissive: impossible de décrire ce que des centaines de personnes déclamant les paroles introductives de Welcome To The Black Parade peut te faire, t'as juste les yeux brillant et le coeur au bord de l'implosion. Concert sans temps morts, on alterne les moments plus punk type Our Lady of Sorrows et les séquences émotion comme une version down tempo de The Ghost of You ou un Cancer avec juste Gerard, sa cigarette et un piano. De nombreux inédits peuplaient aussi la set-list, on a ainsi eu droit à leur reprise de Desolation Row de Bob Dylan ainsi qu'à une grosse poignée de nouveaux titres, hélas au détriment de quelques classiques absolus. Par exemple, ils n'ont pas joué Famous Last Words et à vrai dire je l'avais vraiment mauvaise en sortant du concert, comme un gosse à qui on aurait arraché son paquet de bonbons, mais après un gros quart d'heure de réflexion j'ai compris à quel point ça avait été énorme et j'ai arrêté de maugréer. Comme je suis plutôt digne, je n'ai pas campé devant le tourbus comme des dizaines de fans arrivés pour certains un ou deux jours avant. Je suis rentrée directement chez moi, et à mon arrivée il y avait sur twitter une sorte de débat chiant "Tame Impala, overrated ou pas?". Dans ma tête j'entendais encore You Know What They Do To Guys Like Us In Prison, et je crois que j'étais heureuse et plutôt fière d'avoir donné un coup de pied dans une barrière mentale un peu dégueulasse.

8 commentaires:

Chloé T | 2 novembre 2010 à 19:10

Rahhh rien que pour cet article, jet'aimejet'aimejet'aime.

Dsslvd Girl | 2 novembre 2010 à 19:21

Formidable. Merci pour cet article.
Bon du coup je regrette de pas y être allée, mais de mon côté aussi, tout le monde se demande pourquoi je les aime, j'aurais probablement été solo.

Anonyme | 2 novembre 2010 à 20:32

Bon. La façon dont tout ça est écrit fait passer la pilule. Je ne te renierai pas, même si tu aimes les MCR (j'avoue, certaines passent sans souci).

Anonyme | 2 novembre 2010 à 21:05

Joli voire touchant.

Mais pas un mot sur Frank Iero, tiens. #obsession

Amelie | 2 novembre 2010 à 21:35

CE FUT BRILLANT.

une fille BLASEE | 2 novembre 2010 à 23:26

Cet article est tellement bigrement bien écrit Juliet que je te pardonne d'aimer MCR. Et je suis totalement d'accord sur le fait que ça fait du bien de sortir de la dictature indie des fois. Bon allez, sur ce, je m'en vais réécouter "La Tribu de Dana" et après je passerai Animal Collective.

Anthony | 3 novembre 2010 à 00:23

Le terme emo est devenu un peu le fourre-tout, le lo-fi et le surf rock suit la même route hélas. On devrais l'utiliser exclusivement pour les Kinsella tiens.

Juliet | 3 novembre 2010 à 09:11

Déjà, merci à tous, je vous kiffe là, j'ai pas l'impression d'avoir écrit cet article dans le vent et ça, c'est vraiment cool et ça fait plaisir.

Manon, une prochaine fois on peut faire une association des amateurs incompris de MCR et on sera tous heureux ensemble avec Gerard et Frank.
Marie, si par ce parallèle tu tentes de les mettre dans la même catégorie que Manau ça va pas le faire.
Anthony, tu es un nazi de l'emo et j'aime ça. Je parlerai évidemment des Kinsella dans l'article destiné à rétablir la vérité.

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