Pleine vitesse, à moitié aveugle.


INTERPOL - SELF TITLED

La première écoute m'avait un peu effrayé, mais pour être honnête, c'était essentiellement ma faute: il était bien une ou deux heure du matin, je ne pouvais décemment pas me coucher sans avoir écouté les 10 fichiers qui venaient de s'ajouter au déjà bien chargé dossier Interpol de mon iTunes mais n'avais pas à ma disposition le matériel nécessaire pour pleinement apprécier ce que j'avais en main. J'ai donc commis l'irréparable en écoutant une première fois l'album avec des écouteurs d'iPod en fin de vie. Par définition, l'écouteur d'iPod en fin de vie ignore le concept de basse, ce qui, appliqué à Interpol, est tout bonnement critique. Dans mon empressement je n'ai point tenu compte de ce facteur, et une fois les dix titres écoutés je me sentais coupable de ne pas avoir complètement pris mon pied. Partagée entre la sensation d'être une admiratrice indigne et trop impatiente, et la peur que les quatre New Yorkais ne soient pas parvenu à redresser la barre après un album moyen selon les standards auxquels ils nous avaient habitué, je m'apprêtais à passer une mauvaise nuit.

Qu'on s'entende bien, Our Love To Admire est par rapport à la moyenne de la production rock actuelle ce que j'appelle un bon album. Mais le fait est que ses prédécesseurs Turn On The Bright Lights et Antics évoluaient eux deux ou trois ligues au dessus: Antics dans celle des grands albums et Turn On The Bright Lights dans celle des classiques modernes. C'est là un peu la malédiction d'Interpol, un groupe qui avait su d'entrée de jeu se distinguer du commun du retour rock en livrant ce qui peut être considéré comme un album définitif. Dans ce cas de figure, la suite n'est jamais évidente. Antics avait cependant prouvé avec brio qu’ils ne pouvaient être une one-hit wonder, et leur avait permis de consolider leur réputation, et leur troisième opus comportait malgré ses faiblesses quelques titres immenses, telle The Lighthouse, merveilleuse pièce de conclusion dont bien peu de groupes sont capables. Qu'importe, les réactions furent à sa sortie très mitigées. Son successeur était donc attendu au tournant, et l'annonce récente de la défection de l'emblématique bassiste Carlos Dengler n'a fait qu'échauffer un peu plus les esprits.

S'iI est rarement bon de se forcer à aimer un album, je ne pouvais pas me laisser démonter par une première écoute un peu tiède. Il m'avait fallu pas loin d'un an et demi pour véritablement apprivoiser le groupe et en comprendre les subtilités, impossible dans ces conditions d'enterrer sur un coup de tête un groupe que j'ai littéralement dans la peau. Une fois les conditions optimales d'écoute réunies, je me suis replongée dans l'album. Il est tout de suite évident que le groupe a cherché à se distancier des reproches qui lui avaient été faites à la sortie d'Our Love To Admire, à éviter l'auto-caricature. Baisse de la réverb, partielle disparition des intros et outros qui pouvaient s'éterniser, même le traitement de la voix de Paul Banks a évolué pour s'approcher de celui qu'on retrouvait l'année dernière sur son album solo Julian Plenti Is... Skyscraper. Un album loin d'avoir fait l'unanimité chez des fans peut être plus exigeants que la moyenne. Le résultat est parfois aussi un peu déstabilisant, Summer Well peut par exemple passer au premier abord pour une chanson positive, petite révolution chez ces messieurs. On ne navigue pas pour autant en territoire inconnu, Lights s'inscrit parfaitement dans la continuité de leur travail, que ça soit sur un plan musical ou dans le propos, et le réussi single Barricade n'est pas sans rappeler l'Interpol très sec des tout premiers EP. Paul et Sam avait évoqué l’importance donnée à l’orchestration sur l’album, et la promesse semble tenue. Si cela se traduit à une ou deux reprise par un petit piano assez incongru et pas forcément bienvenu, comme sur un Try It On en demi-teinte, d'autres titres trouvent le bon équilibre et rassurent.

C'est le cas de la conclusion de l'album, à savoir The Undoing. Paul Banks s’aventure à quelques lignes de texte en Espagnol, et ce qui aurait pu facilement tourner en exercice de style ampoulé s'impose comme une réussite. Le titre n'a pas à pâlir face à ceux qui l'ont précédé. Interpol est en effet un groupe qui a toujours su parfaitement clore ses albums: quatre opus, quatre grands titres. Peut être un moyen de nous tenir en haleine, de nous indiquer une direction à suivre. Leur prochain disque sera le premier enregistré sans la participation de Carlos Dengler, et bien que Daniel Kessler soit le compositeur principal, on pourra s'attendre à tout. Cet album éponyme est celui d'une transition, il divisera probablement une nouvelle fois le public. Il est bon, pas grandiose. rassurant mais pas exaltant. Turn On The Bright Lights semble de toute manière bien parti pour continuer à flotter longtemps au dessus de la discographie du groupe, car à l'issue de ces dix titres dénués de la grandiloquence qui avait parfois alourdi Our Love To Admire, on a l'impression d'avoir affaire à un groupe apaisé et conscient de ses capacités, mais qui rechignerait à pleinement les exploiter. Interpol possède d'ores et déjà un statut culte et pour cette raison il est difficile d'imaginer qu'ils disparaissent dans l'obscurité, peut être veulent-ils juste pour le moment laisser les excès de côté, et jouer pour le maintien. En nous laissant en attente, once again.



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